dimanche 5 juin 2011

"Community" (saison 1): les miroirs du rire

Je vais finir par croire que la comédie américaine est aujourd'hui le vrai grand terrain de jeu des scénaristes qui n'ont pas froid aux yeux. En tout cas, pour ceux qui n'ont pas peur de tenter, de transgresser, de rendre hommage sans jamais perdre de vue l'ambition des vrais conteurs d'histoire... à savoir développer des histoires et des personnages solides.
Aux USA, l'un d'eux s'appelle Dan Harmon, il est le créateur de Community et il s'inscrit complètement dans cette logique.

Vous avez dit loosers?

Community, c'est l'histoire d'une poignée d'élèves d'un community college, une fac qui accueille celles et ceux qui ne peuvent aller dans les universités huppées dont les autres shows américains nous rebattent souvent les oreilles.
 Comme l'explique avec concision la première scène du pilote(*), les étudiants viennent de multiples horizons: cela va des ex-élèves de lycée qui n'ont pas réussi à se caser (Annie, un peu fleur bleue mais surtout ex-accro aux médocs et plutôt angoissée; Troy, ex-quarterback qui a peut-être derrière lui les meilleures années de sa vie en terme de notoriété), aux vieux de la vieille qui essaient de reprendre leurs études (Pierce, ex-chef d'entreprise raciste plutôt imbu de sa personne, et Shirley, mère de famille plaquée par son mari).

Au milieu de cette pyramide des âges, on retrouve aussi ceux qui essaient de donner une nouvelle orientation à leur vie. Que ce soit par choix comme Britta, féministe convaincue qui essaie de rattraper le temps perdu à courir après Radiohead en groupie transie. Ou que ce soit par obligation comme Jeff, avocat dont la licence a été suspendue car ses diplômes étaient faux.

Abed et la tragédie grecque

Le personnage central de la série, c'est d'ailleurs Jeff. C'est effectivement autour de lui que va se former la fine équipe à partir du moment où il va essayer de draguer Britta en lui proposant de rejoindre un faux groupe d'études en espagnol. S'il n'arrivera évidemment pas à ses fins au terme du premier épisode, un véritable groupe de révision va se constituer. Avec cette étonnante bande de loosers... et Abed, un étudiant musulman vraiment pas comme les autres.



Si j'ai volontairement mis Abed de côté, c'est parce que c'est un personnage particulier et qu'il est l'âme de Community. Des personnages un peu barrés, les sitcoms US en comptent des tas. Abed en fait partie parce qu'il parle vite, parce que ses réactions sont souvent inattendues... mais surtout parce qu'il tient une place unique dans le récit. Un peu à l'image du coryphée dans une tragédie grecque, il fait partie de l'action mais la commente aussi très régulièrement... en direct. Pour mieux s'amuser des facilités de la sitcom et ses trames incontournables.

 Une sitcom qui pense et se pense comme une sitcom

Personnellement, j'ai toujours été méfiant vis à vis de ce genre de procédés. The OC et ses auteurs l'ont utilisé à plusieurs reprises et ça devenait aussi lourd que pénible. Dans la saison 1 de Community, ce n'est pas le cas. Ici, on a affaire à une sitcom qui pense et se pense comme une sitcom. J'entends par là que le rôle d'Abed n'est pas de servir de canon à vannes faciles mais bien de créer une connivence entre le téléspectateur fan de pop culture et l'univers de Greendale (le community college en question) pour générer des effets comiques stimulant le rapport personnages/public.

L'intelligence de Dan Harmon et sa bande de marrants qui écrivent, c'est précisément d'utiliser Abed comme un point d'ancrage mais de ne pas limiter la spécificité du show à ses faits et gestes. Du pilote qui se pose comme un hommage assumé aux films de John Hugues en passant par le remake du film de mafia (l'excellent Contemporary American Poultry) ou le pastiche de film de guerre (Modern Warfare, mythique), la saison enchaîne les épisodes explorant différents types de narration avec l'ensemble des personnages. Cela pour mieux nourrir la véritable ambition du show: raconter l'histoire d'un groupe dont les membres se rapprochent, s'éloignent, s'engueulent et se serrent les coudes. Le tout avec des personnages réguliers hauts en couleur (Ah, Senor Chang). Ou comment revenir à l'essence de la sitcom en empruntant des chemins qui surprennent...

Rien n'est gratuit

Dans Community, la comédie est une sorte de drôle de miroir grossissant. Et à plusieurs reprises, un peu comme Alice au pays des merveilles, le téléspectateur passe d'un côté et de l'autre de la glace pour mieux se divertir. Pas par gimmick ou coquetterie, mais pour que cela renforce l'intérêt du récit. Car ici,  rien n'est gratuit. La preuve: une des scènes les plus attendues de la saison survient au moment où on s'y attend le moins, dans Modern Warfare...
Il y a une expression pour ça: on appelle ça un tour de force.



Bien à vous,
Benny

(*) C'est une marque de fabrique: Community est particulièrement efficace pour poser d'entrée de jeu et de façon très concise le cadre de l'histoire dans laquelle vont se débattre ses héros vingt minutes durant.

1 commentaire:

aussielilie a dit…

Très intéressant. J'ai regardé quelques extraits par ci par là, sans jamais vraiment accrocher. Tu me donnes deux trois bonnes raisons de retenter l'expérience. Entre ça et Modern Family (qu'on m'a fortement conseillé), j'ai du boulot...