mercredi 12 septembre 2012

"The Wire" (saison 3) : Baltimore, la lutte continue

Bizarrement, je redoute toujours un peu le moment de dresser le bilan d'une saison de The Wire.

Beaucoup de choses à dire, plein d'éléments à décrire et toujours le doute de ne pas tout écrire. Bon, ce n'est pas, à proprement parler, une angoisse... mais quand une série vous plaît vraiment, vous avez envie de rendre avec justesse tout ce qui, à vos yeux, fait sa singularité. Et parfois, c'est dur.

Il faut se rendre à l'évidence : descendre un truc mauvais, c'est beaucoup plus simple. Presque reposant.

Entre la Ville et la mort

Qu'à cela ne tienne, on peut déjà partir d'un constat évident. Avec cette saison 3, le projet The Wire gagne encore plus en profondeur et en complexité. Et c'est ce qui, de façon vraiment peu commune, décuple son pouvoir d'attraction.

La scène inaugurale, sur la destruction de tours de Baltimore Ouest, m'a fait sourire : dans la saison 3 d'Homicide, il y a une scène sensiblement identique et dans laquelle on retrouve Meldrick Lewis, l'inspecteur de la crim' joué par Clark Johnson. Johnson qui a réalisé le pilote de The Wire et que l'on retrouvera devant la caméra en saison 5.

Mais si ce prologue de l'épisode 1 est vraiment remarquable, c'est parce que c'est une brillante illustration de ce qui nous attend tout au long de la saison. Cette année, Baltimore change, Baltimore bouge... et face à cette réalité, tout le monde va devoir s'adapter.

L'objectif pour tous : rester au moins debout, en équilibre. Certains parviendront à tirer parti de la situation. Mais pour certains, la chute - violente, douloureuse - est au bout du chemin.

Et c'est tout cela que les douze épisodes racontent avec maestria.

Le récit, tout d'un bloc

A la fin du visionnage, je me suis fait la réflexion que j'ai plus apprécié cette saison que la précédente. Ce qui n'est pas sans me troubler un peu, je l'avoue.

Est-ce que c'est parce que j'ai mieux intégré les codes de la narration ? Est-ce que la multitude de storylines a donné un caractère plus dynamique à l'ensemble ? Je dois reconnaître que j'ai vraiment du mal à trancher sur ce point (1).

A mon avis, tout cela est un peu mélangé. Un point, cependant, me paraît clair au moment de faire le bilan : l'histoire de la saison 3 constitue un bloc géographique plus compact que celle de la saison 2. On n'est pas, ici, entre le port, les tours et la prison. Et il me semble que cela donne, au final, un "bloc humain" plus fort.

Place à la politique

Il faut dire que cette fois, Simon et sa bande s'aventurent véritablement dans une zone qui n'était qu'effleurée auparavant : la sphère politique. Je ne sais plus où j'ai lu ça, mais dans une interview George Pelecanos, producteur de cette saison 3, a avoué qu'il ne croyait pas à cette idée. Trop casse-gueule, pas forcément facile à exploiter dans un récit-fleuve.

Pourtant, quand on prend un moment pour y réfléchir, cela ne pouvait pas ne pas se produire. D'abord parce que dans The Corner, toute la partie sociologique de l'enquête étudie cette question. Ensuite parce que de toute façon, dans The Wire, tout est politique... alors autant l'assumer complètement. Et utiliser cette donnée comme un ciment.

A mes yeux, l'une des grandes forces de cette saison 3, c'est aussi de s'appuyer à fond sur les points forts du show. Sans doute plus que la deuxième. Cette fois-ci, l'iconicité et la continuité sont puissamment renforcées.

Sur les porcs d'Hamsterdam...

L'iconicité, on la retrouve avec de nouvelles figures de roman qui viennent s'extraire d'un propos richement documenté. Leurs noms : Dennis Cutty Wise, Tommy Carcetti et surtout Bunny Colvin.

Tous les trois - mais d'abord ce dernier - ont tous un lien avec le quartier de Hamsterdam, l'entité fictive au centre de l'histoire dont certains élus essaient de profiter tels des cochons qui s'engraissent. Mais Hamsterdam, c'est aussi et surtout le fruit d'une minutieuse synthèse sociologique de l'impact de la drogue et de son trafic sur la ville américaine. 

La théorie du sac en papier, que Colvin présente à ses hommes à la fin de l'épisode 4, cette théorie qui évoque la différence entre l'écoulement de l'alcool et celui de la dope, c'est celle que décrit Simon lui-même dans son travail sur The Corner.


L'incapacité à enrayer le phénomène de ce que l'on appelle en France l'économie souterraine, et l'improbable course aux chiffres qu'elle suscite, elle existe bel et bien hors du petit écran et sur HBO.

C'est encore une fois cette capacité à lier récit fictif et données vérifiables et vérifiées (sans toujours que l'on sache vraiment ce qui fait partie de l'un et ce qui appartient aux autres) qui fait toute la force de The Wire. Sa force et, évidemment, son côté bluffant.



Ne pas se satisfaire 
du statu quo. Jamais...



La continuité, elle, est évidemment à chercher dans ce qui arrive aux figures du début. D'Omar, le Robin des Blacks, à Bunk en passant par la tragique trajectoire d'Avon Barksdale et Stringer Bell. Ou encore dans l'évolution de Prez et de Carver comme celle de McNulty. On retrouve ici, une logique de cohérence digne du roman urbain tentaculaire qu'est la série. Et ça aussi, cela participe à la puissance du récit.

Un récit qui nous raconte encore et toujours la prééminence du système sur l'individu mais qui ne se jamais satisfait de la promesse du statu quo.

Voilà pourquoi on ne peut lâcher The Wire : l'objectif, ici, ce n'est pas seulement de dire que les choses ne marchent pas. Il s'agit d'expliquer pourquoi rien n'est simple et définitivement humain. Dans ce qui est pathétique comme dans ce qui peut, de façon quasi-illogique, peut surprendre positivement et donner encore envie de se battre.

J'ai toujours pensé que celui qui portait la croyance en un idéal à la télé et dans ses scripts, c'était Aaron Sorkin avec The West Wing. Mais peut-être qu'au fond, la série qui défend le mieux le jusqu'au-boutisme, c'est celle de David Simon.



La raison ? Dans The Wire, la lutte continue. Toujours. Même -et surtout- si l'on perd.

Bien à vous,
Benny

(1) A mon avis, il va me falloir revoir l'histoire de la famille Sobotka, pour en avoir le coeur net.

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