samedi 16 août 2008

Urgences : pitié, attachez-moi au docteur Pratt !

Un titre un peu surprenant ne fait jamais de mal : non, je ne veux pas me prêter à des jeux cochons avec Mekhi Phifer. Ni finir au fond de l’eau, puisque pour certains, c’est un authentique boulet, limite un paratonnerre de la haine comme dirait l’excellent Conundrum. Si je donne dans le titre provoc' aujourd’hui, c’est parce que je viens de commencer la visualisation de la saison 14 d’Urgences et franchement, mon rapport à cette série devient vraiment bizarre.

Souvenirs, souvenirs

Premier paradoxe : je ne regarde plus Urgences. En tout cas pas le show qui fait figure de pierre dans mon jardin sériephilique. Celui qui m’a carrément électrisé un soir de 1996 lorsque j’ai vu l’épisode pilote dans la chambre d’amis de mes parents. Celui qui m’a amené à me questionner sur ce qu’est une série de qualité quand, abasourdi, je me baladais en repensant à la disparition du docteur Gant en saison 3 ; à la façon subtile dont les choses avaient conduit à ce tragique épilogue (Accident ou suicide ?). Le show qui m’a estomaqué avec une autre mort, celle de Lucy Knight. Celui qui m’a fait chialer comme un gosse (et sans doute la seule fois) avec la mort de Mark Greene. Dites donc, qu’est-ce qu’ils meurent dans cette série, quand même…
Pourtant, ces disparitions ne sont que des pics dramatiques dans un flot de lignes narratives nerveuses, drôles ou effarantes, reflétant ce qu’est la société américaine (et parfois plus encore) aujourd’hui.

Injections d’audace en IV

Urgences, c’est aussi pour moi une série qui n’hésitait pas à bousculer son format de tant à autre, prenait des risques souvent payants et forçait mon respect. L’escapade de Benton dans le sud des Etats-Unis, l’épisode à la Roshamon ouvrant la saison 8, celui s’inspirant de Memento avec Kovac en saison 9 ou celui qui se déroule au cours d’une éclipse la même année, sont de bons exemples en la matière.
Aujourd’hui, avec le temps, Urgences est plus devenu un soap médical. Un soap pas trop mal fait (en tout cas largement meilleur que d’autres). Mais le fait est là : je ne regarde plus Urgences. Je regarde une série qui en a le titre, l’univers et par à coups très sporadiques, le côté brillant, mais qui n’est pas celle que j’ai connue.
La grande gueule
rentre dans le rang,
encore et encore

Il fallait bien trouver une façon de faire face au temps qui passe. Mais depuis la saison 10 (j’aurai presque envie de dire la 9, parfois), les scénaristes donnent l’impression de ne pas savoir comment faire avec leur panel de personnages. D’abord en reproduisant jusqu’à épuisement l’introduction d’un « médecin cow boy », censé secouer le service. Une sorte de Doug Ross constamment en proie à ses démons. Il y eut l’échec Malucci (saisons 6 et 7), Ray Barnett (saison 11 à 13), Tony Gates (saisons 13 à 15) et un cas particulier, Greg Pratt (depuis la saison 8, au générique à partir de la saison 9).
A chaque fois, le même schéma : une grande gueule qui prend des risques et menace de se prendre un mur avec son attitude (sauf Malucci, qui finit vraiment dans le mur… sans que cela ne soit vraiment sa faute au début de la saison 8). Ce gars un peu prétentieux finit par écouter ses titulaires, et par rentrer dans le rang. Jusqu’à en devenir plus ou moins fade.
A ce titre, le cas du docteur Gregory Pratt est spécial. A l’origine, il est le double tourmenté de Michael Gallant (saison 9) et sa caractérisation est suffisamment forte pour que l’on s’attache à lui. Le problème, c’est qu’après le départ de Jack Orman au poste de showrunner, une valse des producteurs débute (Chris Chulack, Dee Johnson, R Scott Gemmill, Dee Johnson seule, David Zabel se succèdent au poste de capitaine du navire) et Pratt est l’un des principaux personnages à tournicoter tragiquement, à partir dans tous les sens. Au point que l’on ne sait pas trop comment la chanson va finir.

Greg Pratt, aka Docteur Zébulon

La preuve ? Entre autres péripéties, Pratt va au Darfour (saison 12), perd Gallant (saison 13), apporte son aide à un quartier défavorisé (saison 13), veut diriger les urgences du Cook County (saison 14) sans qu’on ait l’impression de sentir une vraie cohérence dans ces choix. On pourrait penser que cela va avec un personnage qui ne sait pas trop ce qu’il veut faire, réagit en fonction des événements et des opportunités. Sauf que l’on a surtout l’impression que les scénaristes se posent d’abord une question : « bon, qu’est-ce qu’on lui fait faire cette année ?».
Ceci sans prendre à bras le corps le souci de cohérence forte qui faisait la puissance de la série il n’y a pas si longtemps. Du coup, on a toutes les peines du monde à s'intéresser à son parcours, à s'attacher à lui.
Dans une certaine mesure, le personnage de Archie Morris (Scott Grimes) est un peu dans la même situation si l’on regarde qui il était (un incompétent, ce qui pour le coup était un choix fort, renvoyant au monde réel) et ce qu’il devient (un médecin un peu cabot mais fiable. Comme une floppée d’autres). Mais lui est drôle, donc ça passe mieux.

Le chef de service ? Lequel ?

Vous n’êtes pas convaincus ? Alors, observez l’autre valse qui secoue le Cook County au fil des saisons pour trouver un chef de services des Urgences. De Susan Lewis (saison 11) à Skye Wexler (saison 14) en passant par Victor Clemente (saison 12), Luka Kovac (saison 13, un autre personnage à qui on a fait faire un peu tout et n’importe quoi) et Kevin Moretti (saison 14), on a vu défiler beaucoup de monde...
En gros, et surtout depuis l’arrivée de David Zabel, on a l’impression que les producteurs se bornent à reprendre des recettes éprouvées (qui a dit « usées jusqu'à la corde » ?) sans avoir une vraie vision d’ensemble pour leur show. Clemente et Moretti ne font que passer et leur caractérisation légère (en gros « Je suis un chef casse pieds mais j’ai pas un si mauvais fond, des fois ») renvoie à de pâles copies de Kerry Weaver ou de Robert Romano sans chercher à secouer un peu plus le télespectateur.

Tentative de traitement

Pourtant, j’en suis convaincu. Il y aurait mieux à faire. Beaucoup mieux. Ne serait-ce qu’en posant de vraies lignes directrices à des personnages comme Pratt ou Gates pour qu’une réelle dynamique s’instaure entre les différents éléments de cet ensemble show. Prendre les différents personnages, étudier leurs interactions : voir ce que l’on a, ce que l’on n’a pas, ce que l'on n'a pas eu et ce que l’on a plus.
On peut aussi jouer sur la conséquente densité de l’univers de la série (Rachel Greene – la fille de Mark - pourrait faire, en cette fin de parcours, une intéressante externe. Une façon de récompenser les téléspectateurs fidèles, de marquer le temps qui passe et de boucler la boucle).
On peut également explorer de nouvelles formes de narration.
Pourquoi pas deux épisodes qui fonctionneraient comme un récit à énigme dont la clef ne serait accessible qu’en regardant les deux segments, avec deux binômes de soignants de garde le même soir mais qui ne se croisent presque pas. La même histoire, avec deux points de vue complètement différents (et plusieurs courtes storylines différentes) mais une solution qui se situerait au second plan.
Oui, c’est compliqué à expliquer. Oui, c’est casse gueule et audacieux.
Mais on est dans Urgences ou non ?
Une douce maladie de cœur…
D'ailleurs, il y a encore des petites choses qui parfois font croire que tout n'est pas perdu. Comme le personnage de Harold Zelinski, qui renouvelle de façon attrayante la figure du newby en blouse blanche. Ou l’arrivée de Kari Matchett au casting dans la blouse de Skye Wexler (une des meilleures comédiennes de sa génération, injustement méconnue).
Ultime paradoxe : malgré tous ses défauts (les problèmes d’alcool d’Abby, c’est too much. Bien écrit mais too much au vu du parcours du personnage), je veux encore un peu y croire. Parce que je reste viscéralement attaché à cette fiction qui aura toujours une place à part dans mon « parcours » de sériphile.
Je l’aime et c’est tout.

Bien à vous,
Benny

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