mardi 17 novembre 2009

"Ni pleurs ni regrets"

Quand j'ai eu 6 ans, mon tout premier voyage pendant les vacances, c'était avec elle. L'année suivante, on est retourné ensemble dans la région. Qu'est-ce que j'ai dit en premier à mon père en rentrant ? "Ben mamie, elle a fait pipi derrière un buisson !"
Quand j'ai eu 8 ou 9 ans, on est allé voir une de ses amies en cure thermale et après ça, c'est dans cette petite ville que j'ai passé tous mes week-ends de l'été ou presque. Toujours avec elle. A deux, on engloutissait un demi poulet sur le sable et j'adorais ça. Le soir, quand on rentrait, ma mère me disait que j'étais un vrai glouton. Assise sur le siège passager, ça la faisait rire.
Quand j'ai eu 10 ou 12 ans, elle m'a appris à faire un noeud de cravate, et je m'en suis souvenu la semaine dernière.
Quand j'ai eu 15 ans, alors que tous les lycéens ne portaient que des vêtements noirs, elle m'a tricoté un pull... rouge. C'était moi qui lui avait demandé. Un pull rouge et bien chaud. Je l'ai toujours dans la penderie de ma chambre d'ado.
Quands j'ai eu 26 ans, elle a fait une petite attaque. Je l'ai vu quelques jours plus tard et, les larmes aux yeux, je lui ai dit qu'elle m'avait fichue une sacrée trouille. Elle a souri, avec sur son visage une expression comme je ne lui en avais jamais vu. Elle n'a rien dit. Dans une famille où l'on exprime peu ses sentiments, ou parfois difficilement, c'était bien d'avoir fait ça, je crois.
Quand j'ai eu 27 ans, un jeudi soir, j'ai reçu un coup de fil. Elle avait fait une attaque cérébrale, figeant un triste sourire sur son visage. Les jours et les mois qui ont suivi, elle avait gardé son regard mais c'est comme s'il y avait un voile derrière ses yeux et qu'on ne pouvait plus l'apercevoir que par à-coups.
La semaine dernière, j'ai découvert une petite enveloppe sur laquelle était inscrite une phrase : "Mes dernières volontés". J'ai tourné autour toute une journée, sans pouvoir l'ouvrir. Finalement, le soir venu, j'y suis arrivé. C'était une série de directives à suivre le moment venu. Dans un style télégraphique qui m'a fait penser à mon père, elle a entre autres écrit "Ni fleurs ni plaques, ni pleurs ni regrets. Des rires. Détendez-vous".
On l'a enterrée samedi.
Pas de regrets. Elle avait presque raison.

5 commentaires:

Une blonde dans la ville a dit…

Pour avoir déjà entendu mille phrases toute faites je ne dirai rien, parce qu'il n'y a jamais rien d'intelligent à dire. D'autant moins que tout ce qu'il y avait à dire, tu l'as fait et fort bien.
J'ajoute juste, s'il est besoin, que si je ne dis rien le coeur y est néanmoins.

Benny a dit…

@ La Blonde : merci, effectivement d'avoir éviter le fameux "elle a fini de souffrir". Et surtout merci pour ce message, joliement troussé.

Une blonde dans la ville a dit…

Ah celle-là, on ne me l'avait jamais faite mais elle mérite une palme.
De rien, je trouve ça courageux de parler de soi sans faux semblant et admirable de le faire sans niaiserie
Et puis j'arrête là les compliments sinon tu vas prendre la grosse tête ;)

Benny a dit…

Très honnêtement, j'ai longuement hésité avant de faire ce texte.
Donc je garde un oeil sur mon tour de crâne. Je sais : c'est une prouesse mais je peux ;-)

adam a dit…

Ca m'apprendra à oublier de te lire au quotidien et de t'avoir au téléphone sans avoir ce genre de données et d'articles, comme tu le dis, joliment troussés, à l'esprit. Ta plume est digne mon bon ami, c'est sûrement la plus grande qualité d'un journaliste ou écrivain à l'heure actuelle où tout est surécrit. Et peut-être que tu tiens ça de ta grand-mère, sa note étant d'une forte portée quasiment incommentable.