mercredi 30 juin 2010

L'homme à la banane

[Eh oui, je sais : c'est bizarre de faire deux posts dans la même journée. Mais je trouve que la date est importante donc je reprends mon clavier]
On s'est rencontré au tout début de la BennyCorp. A l'époque, il portait un sac banane (dont je me suis allégrement moqué par la suite) et un mousqueton. Avec un trousseau de clefs teintant à chacun de ses déplacements. Un homme plutôt grand, avec l'accent du sud et des yeux malicieux derrière une paire de lunettes.

Quand j'ai rejoint le service où il bossait, il était tricard. Puni après une longue et jolie carrière, des problèmes de santé et des griefs que la direction avait à lui reprocher. "Quand on veut noyer son chien, on l'accuse d'avoir la rage !" lâchait-il parfois, agacé par cette situation. Un jour, il s'est même présenté à une de mes connaissances en balançant "Bonjour, je suis le tricard".

Un personnage en somme. Un peu bordélique. Enfin, disons plutôt pas toujours très concentré. Un mec avec une vraie gouaille qui, à chaque fois qu'un gars de la DG passait et lui demandait, gêné, "Qu'est-ce que tu deviens ?", ouvrait le rideau de fer derrière son bureau et disait "Ben tu vois, putain, je suis toujours dans mon placard". Ca me faisait bien marrer.

Des éclats de rire avec lui, j'en ai eu. Et pas qu'un peu : il a toujours été bienveilant avec moi. Toujours prêt à m'écouter, à me soutenir et à m'encourager. Il a fait avec moi ce qu'il a fait avec plein d'autres en fait. Parce que c'est dans son tempérament: il aime les gens, il sait aller vers eux.

Pendant ces premiers mois à la BennyCorp, pas forcément près de chez moi, je m'étais reconstitué un semblant de famille pro. Ma chef de service était un peu la figure maternelle et lui la figure paternelle. A l'époque, j'avais du mal à discuter avec mon père : c'était avant de comprendre, de percevoir plein de petites choses...

Je suis ensuite parti mais on est resté très proches. Auourd'hui, il a passé sa dernière journée à la BennyCorp. Il quitte la boite et il est content de passer à autre chose, à 59 ans. Il devrait avoir suffisamment de moyens pour ateindre la retraite.

A son contact, et au sein de mon entreprise, s'il y a une grande leçon de vie que j'ai apprise, c'est celle-ci : peu importe, au fond, ce que vous faites professionnellement; l'appréciation peut beaucoup évoluer selon le contexte et les personnes. Ce qui restera surtout à la fin, c'est l'humain. Le souvenir que vous laisserez aux gens. La capacité ou non à susciter en eux un certain respect.

Lui, il m'aura appris à rester enthousiaste, curieux, indépendamment du temps qui passe. J'espère que je serai comme lui à 60 ans et plus tard. Enthousiaste, curieux et facile à émouvoir. Parce que cet homme a beau dire, il est facile à toucher. Mais pudique. Aujourd'hui, il a reçu un coup de fil de mon ex-chef de service, avec qui ils se sont chicanés pendant des années. Elle lutte aujourd'hui contre la maladie. Fatiguée, elle l'a quand même appelé pour lui dire qu'elle pensait à lui. "Si tu savais, m'a-t-il dit au téléphone, j'en avais des frissons. Des larmes aux yeux. J'en ai encore la gorge toute nouée".

Vu que la mienne l'était aussi, je n'ai eu aucun mal à le croire.

Bien à vous,
Benny

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