mercredi 31 mars 2010

Un autre jour à la BennyCorp

C'aurait pu s'appeler épisode II, puisque ce n'est pas la première fois que je raconte une histoire de ce type. Mais j'avais pas envie donc... allons directement au coeur du sujet.

7h : joie du matin, le réveil sonne. La fatigue est moins là que la veille cependant. Ca c'est parce que je sais que le lendemain, c'est un jour de relâche donc forcément, ça vous donne envie de sortir (un peu) plus vite du lit.

8h10 : je quitte mon appart. En avance : c'est suffisamment rare pour être remarqué. Je file vite au bureau, pour récupérer des papiers... et retrouver des gars avec qui on fait un reportage. Le temps d'imprimer dare-dare la feuille avec le numéro du contact, et je retrouve les trois gars en bas, dans la rue.

9h : encore à l'heure. Mais pas les personnes avec qui on a rendez-vous. On poireaute donc, un peu. Avant de retrouver les hommes qui doivent nous accompagner. Ce matin, le thème de la sortie, c'est "Découvrez les égouts de BennyCity". Une idée qui est partie dans une réunion au bureau, comme ça. Un truc à ne pas faire avec notre petite équipe : plus c'est inattendu, plus on va se jeter dessus. Enfin, jeter dessus, presque : moi, je suis là pour le calage et les interviews. Les gars qui partent à la recherche des tortues ninja, avec un casque de chantier sur la tête, je n'en suis pas. Mais c'est pas grave, il y a de quoi faire.

9h30: Vous connaissiez, vous, le H2S ? C'est un gaz, du sulfure d'hydrogène. On le trouve dans les égouts et c'est mortel. "A Paris, deux gars ont voulu faire un tour dans un égout. Le premier est descendu, il est tombé net. Le deuxième est allé le chercher, il n'est pas non plus remonté. C'est inodore aussi" raconte le technicien. Regard de Dustin Hoffman dans "Alerte" à l'appui. Et ça vient d'où ? "C'est la merde. Elle fermente". Re-Dustin Hoffman. Mais ça le fait un peu moins.

10h15 : les garçons ressortent, pas trop crotteux finalement. Mais bien contents. On file boire un coup, vite fait pour caler le bazar avant que chacun ne reparte de son côté. On zieute la fameuse photo de Une (oui, j'ai encore récupéré l'insigne honneur de sa gestion : en même temps, ça m'arrive trois fois sur quatre en ce moment) : ça le fait bien. On va pouvoir avancer l'esprit léger.

11h30 : retour au bureau. Gestion du tout venant. Déjeuner avec les autres gars du bureau. Rapide. Et calage de l'itinéraire pour le reportage de l'aprem. Sur le coup sans trop y penser, je me dis que je peux traiter ça en trois quarts d'heure montre en main.

13h50 : direction l'autre bout de BennyCity. Au programme : rencontre avec des parents qui ont créé une association pour lutter contre la leucémie après avoir perdu leur fils. "Délicat, mais sujet faisable" disait le mail du boss. J'y vais sans trop me renseigner : je me dis que je sais l'essentiel et que je verrais avec eux. Règle d'or dans ce boulot cependant : quand on ne sait pas, on le dit honnêtement. Mieux vaut avoir l'air idiot et dire que l'on ne sait pas que de feindre que l'on sait, prouvant du même coup qu'on est vraiment un imbécile.

14h25 : j'arrive dans un petit lotissement plein de charme. Derrière un alignement d'immeubles qui se situe au croisement de deux routes bien fréquentées. Et cela, même si le milieu de la journée est maintenant bien passé. Je tourne un peu pour trouver l'entrée. En y repensant, c'est assez saisissant de constater le contraste. D'un côté, le souffle des bagnoles. De l'autre, un calme olympien.

14h28 : je sonne. La porte s'ouvre et je file dans les escaliers. Raté : la porte du rez-de-chaussée s'ouvre. Je souris : "Je crois que j'ai été piégé". Un homme ouvre la porte. Il a des cheveux poivre et sel, et un regard bleu intense. J'entre et je découvre très vite un salon aux murs couleurs pèche. La pièce est vraiment lumineuse, tranquille. Nickel aussi : c'est vraiment très propre. L'hôte me présente sa femme. On s'installe au salon.

14h35 : J'explique le pourquoi du comment : l'article pour le mercredi suivant, la présentation de l'association et de leur histoire. et je rajoute : "ce qui est important, c'est que c'est vous qui battez la mesure. Vous me dites ce que vous voulez et s'il y a des choses que vous ne voulez pas que j'écrive, vous me le dites". En vrai, ce genre de choses (le retour sur des propos) arrive rarement. Mais si c'est le cas, je pèse le pour et le contre, pour arranger les deux parties. Après, je peux faire le forcing pour garder tel ou tel élément mais ce n'est pas si commun au final.

14h45 : le couple me raconte son histoire et clairement, il y a de quoi vous retourner l'estomac. Un petit garçon de neuf ans, diagnostiqué le 31 mars et mort le 9 mai. 34 jours plus tard. Tous les deux ont quarante ans et c'est leur seul enfant. C'est leur première interview : le mari parle et tient plutôt bien le choc. Sa femme, elle, me paraît prête à fondre en larmes. Elle est à côté de moi et je sens le malaise. Je me tourne vers elle et je lui dis que s'il y a besoin de faire une pause, il n'y a pas de problèmes. Elle répond que non. Elle dit que ça ira.
Quand je suis confronté à ce genre de situation, je veux dire quand je suis confronté à des trucs très intimes, je me mets à parler assez bas. Sans m'en rendre compte. Un peu comme si le poids de ce dont on parle écrasait le ton de ma voix...

15h00 (enfin, en gros) : je n'aime pas toujours quand les gens font ça (en tout cas, quand ça tombe au mauvais moment) mais le fait de les entendre parler d'eux m'a donné envie de parler de trucs intimes. Pas pour comparer, absolument pas. Mais pour partager des choses, des impressions.
C'est fou... la femme me fait beaucoup, beaucoup penser à ma mère. Pourtant, toutes les deux ne se ressemblent pas trop. On discute longtemps. De lui, de leur deuil qui ne se fait pas. De leurs projets. Dans la maison, les images du garçon sont partout. Plus tard, je constaterai que sa chambre n'a pas bougé. On peut se dire que leur maison ressemble parfois à un mausolée. Que la mort est peut-être partout là-bas, peut-être depuis trop longtemps. Mais franchement à leur place, vous feriez comment ?
Perso, je n'ai pas de réponse.

16h : je repars en bus. Moi qui suis le spécialiste des coups de fil dans les transports en commun, je ne dessers pas les dents de tous le trajet. Arrivé au boulot, j'en parle avec mes collègues avant de me mettre au turbin.

17h : parfois j'aime prendre mon temps avant de rédiger. Pour laisser les choses se décanter. Pas cette fois. C'est un peu comme s'il y avait pour le coup, un vrai besoin de mettre des mots sur tout ça.

19h : c'est rédigé. Petit coup de fil à une asso en quête de bénévoles, pour finir une page. Et petit coup de bol : le mec répond d'entrée de jeu. Cool. Une petite interview et je peux re-rédiger.

20h : j'ai pas envie de rentrer. C'est rare. Alors je m'occupe de la mise en page du dossier égouts du matin. C'est l'occasion de faire preuve un peu de créativité, de casser les formats et j'aime bien ça. Ca change un peu les idées.

21h30 : je vais rentrer, je traine un peu en ville pour trouver à manger (pas envie de cuisiner).

22h35 : j'arrive chez moi. Sur CineCinema, il y a La Guerre selon Charlie Wilson. Un film avec Tom Hanks que je veux voir depuis 18 mois au moins (et que j'ai loupé au cinéma). Je loupe le début, je déteste ça. Je regarde le film d'un oeil distrait. Je suis crevé, pas vraiment dedans.

0h : je rends les armes : je n'ai plus trop les égouts en tête, plutôt le reste. Pas étonnant que je m'effondre vite fait dans mon lit.

Bien à vous,
Benny


2 commentaires:

aussielilie a dit…

Tu le prends mal si je te dis que tu m'as un peu cassé le moral?

Benny a dit…

@ Aussielilie :

Non, non. Je le regrette parce que c'était pas trop le but, mais je le comprends. En même temps, j'avais besoin que ça sorte.

Et promis, le prochain post sera plus funky fresh. On fera tout pour en tout cas.