mercredi 3 novembre 2010

"Retrouvailles"

J'ai décidé de poster plus. Mais je suis à la bourre ce soir. Du coup, je me sers du prétexte de la vraie fausse urgence pour poster une nouvelle que j'ai écrite. Soyez pas trop cruels s'il vous vient à l'idée de commenter. Mais soyez honnêtes. D'avance merci.


J'arrive devant la porte de l'appartement et j'ai le coeur qui cogne contre ma poitrine. Ma bouche est sèche et les muscles de mes jambes sont tendus comme si je n'avais pas bougé depuis des années. Un peu comme si j'avais deux piquets en bois qui partent du haut de mes cuisses pour s'enfoncer dans le sol.
C'est comme la première fois. Tout recommence.
Je m'apprête à sonner à la porte et puis non. Je ne peux pas, c'est trop tôt. Je fais demi-tour, direction le couloir. Et puis, au moment de passer devant la glace à côté de l'ascenseur je m'arrête. Le col de mon gilet est à l'envers. Cela doit faire deux heures que c'est comme ça et je ne m'en aperçois que maintenant. Je le rajuste, avant de fermer ses boutons sur ma robe.
Je prends une profonde respiration et je fouille dans mon sac. Mon portable : un nouveau message. Encore un. Je referme le clapet avant de le remettre là où il était.
Non, je ne peux pas repartir. Plus maintenant. Pourtant, c'est évident, je ne suis pas prête. C'est sûr, c'est trop tôt. Je lève les yeux au ciel : les moulures du plafond ont été refaites et je ne sais pas pourquoi, ça me refait penser à cette famille chez qui j'étais il y a deux ans pendant l'été. Le père était platrier et c'était une de ses spécialités, les moulures. Je me demande s'ils vont bien, tous...
Entre la porte et moi, il y a une petite chaise. Je décide de m'asseoir. Après tout, rien ne presse.
La sonnerie de l'ascenseur retentit. Je sursaute sur la chaise. Un homme, une femme et une petite fille sortent de la cage et passent devant moi. La mère m'adresse un sourire poli (que je lui rends) tandis que le père fait comme si je n'existais pas et sa fille me regarde comme une bête curieuse.
Ca devrait pourtant être plus facile, cette fois. Je ne devrais pas être si nerveuse. Mais c'est le cas. C'est peut-être même pire. Et ça me rend folle. C'est comme si j'étais irrésistiblement attirée.
Je sens les larmes qui montent...
Me calmer, respirer. Faire le vide. Fermer les yeux.



Je me souviens, la première fois. Quand elle a ouvert la porte, elle portait un chemisier marron et un tablier de cuisine. Ce qui m'a frappé, ce n'est pas la blondeur de ses cheveux, ce sont ses yeux : il y a toujours une lueur triste dans son regard bleu. Même quand elle vous sourit pour dire bonjour.
J'étais nerveuse, comme aujourd'hui. J'ai eu du mal à parler. Je lui ai demandé si elle était bien celle que je venais voir, si elle était bien née en 1956 à Oran en Algérie, si elle a fait ses études à Biarritz. Son sourire a disparu, laissant place à la méfiance. Je lui ai dit comment je m'appelais, quel âge j'avais, d'où je venais... et là aussi, j'ai senti les larmes monter.
Elle m'a très vite demandé ce que je voulais, qui j'étais et encore une fois ce que je voulais. Dans ma tête, les idées se sont bousculées : j'aurais pu lui parler de la tache de naissance sur ma cuisse gauche, de cet été-là à la plage où on était tous ensemble à manger des fruits de mer, des comptines récitées avant d'aller à l'école...
Tout c'est que j'ai pu dire, juste avant de fondre en larmes, c'est que je me souvenais des chaussures bleues. Celles de la rentrée en CP. Sur mon visage, cela devait se voir que je m'en voulais. Evoquer un truc aussi anodin, insignifiant comme ça... Pourtant, dans ses yeux, j'ai vu qu'elle avait compris.
On imagine mal ce que c'est de retrouver la personne qui compte le plus au monde dans votre vie.
Elle, est restée là, prostrée. On s'est regardé, on a pleuré, avant qu'elle ne me dise d'entrer.
On a longtemps parlé, très longtemps. Il y avait chez elle un besoin d'y croire et, en même temps, une retenue naturelle. "Ne m'en veux pas je t'en prie, mais j'ai tellement attendu cet instant, je veux être sûre...".
 

Je lui ai raconté mon enfance, le moment où celle que je prenais pour ma mère m'a annoncé sur son lit de mort qu'elle m'avait prise sur le parking à côté du camping alors que je n'avais que six ans. Je lui ai expliqué mes recherches, pour les retrouver elle et papa. Mes déceptions, mes échecs. Et comment je les ai finalement retrouvés. Mon Dieu, ce que l'on a pu pleurer...

Je rouvre les yeux. Je suis plus calme. Dans mon sac, il y a un exemplaire de journal plié en quatre. Je le sors et lis l'article qui occupe un quart de page. Je l'ai déjà lu au moins douze fois. Je le parcours plus qu'autre chose : mon esprit est ailleurs.
Je me souviens des journées, des soirées qui ont suivi ce premier jour. Des repas avec les oncles, les cousins. Des photos qu'on a regardés tous ensemble jusqu'à en avoir mal aux yeux. Du bonheur que c'était d'être à nouveau tous les trois. Je n'avais alors qu'une envie : aller de l'avant, oublier le passé.
Mais le temps qui passait n'a rien voulu savoir. Le temps et une autre personne.
Si elle et moi, on voulait toutes les deux que ce soit vrai, si nous étions prêtes à y croire à tout prix, ce n'était pas son cas à lui.
Celui qui partageait sa vie.
Il voulait comprendre ce qui était arrivé, ça l'obsédait. Il me posait question sur question. Je le vivais mal : à cause de ça, elle et lui se disputaient souvent... Mais il avait raison. Les détails sont devenus de plus en plus nombreux. Le doute n'a cessé de grandir entre nous. Jusqu'à ce que l'on soit sûr : ils n'étaient pas mes parents. Je ne serai pas leur fille.
Elle l'a haï pour ça, je le sais : elle me l'a dit. Elle a beaucoup pleuré et moi aussi.
Finalement, une dernière fois, on s'est réuni tous les trois. Il m'a dit qu'il était désolé. Il était sincère, je crois. On était ensemble mais on était seuls. A nouveau.
Et c'est un sentiment insupportable.
Quand on s'est quittés, elle a voulu me donner un peu d'argent. J'ai refusé, ce n'est pas ce que je cherche. Elle m'a aussi dit qu'elle voulait qu'on garde contact, qu'on se rappelle dans un mois ou deux.
"J'avais presque retrouvé ma fille, j'y étais presque...", a-t-elle longtemps répété.
Je lui ai répondu que je le voulais aussi. Mais je n'y croyais pas.
Jusqu'à ce message ce matin. Quinze jours après. Et celui-ci, cet après-midi.




Je range le journal et sors à nouveau mon portable. Je me lève et, tout en composant le numéro de messagerie, je me dirige vers la porte de l'appartement.
Au bout du fil, c'est elle : "Il faut que je te voie, Lilie... Aujourd'hui. C'est urgent. S'il... s'il te plaît, viens".
J'étais calme mais sa voix, inquiète, dans laquelle on devine des sanglots, me fait perdre tout le bénéfice de mes exercices de respiration. Ca et surtout le fait que je sois maintenant devant la porte.
C'est trop tôt... mais je me sens comme aspirée.
Mes doigts se posent sur la sonnette d'entrée, j'appuie sur le bouton.
Tout recommence.
J'entends des pas derrière la porte. Je ferme le clapet de mon portable et le garde à la main.
Mon coeur bat à tout rompre.
La porte s'ouvre, lentement.
C'est une grande femme brune, très maigre avec des yeux noirs.
- Oui ?
- Bonjour, madame... Vous êtes Solange Mercier ?
- Oui, c'est à quel sujet ?
- ... Solange Mercier... et vous êtes née le 3 avril 1963 à Maubeuge ?
- C'est pour quoi ?...
Le regard triste. La méfiance. La peur. Et autre chose aussi.
- Je... je suis...
Je sens les larmes qui commencent à monter. Comme toujours.
- Je m'appelle Aurélie Gilard. Je suis née le 8 septembre 1982 à Senlis et j'ai été adoptée le 4 novembre 1987. Je crois que... je...
Mon portable m'échappe. Je me baisse pour le ramasser. Elle s'accroupit elle aussi.
Je glisse le téléphone dans mon sac, sur l'article de journal. Sur le papier, on voit sa photo avec une petite fille.
Elle me regarde, presque paniquée.
Je peux commencer à pleurer.


Bien à vous,
Benny

2 commentaires:

Une blonde dans la ville a dit…

roh mais ! Tu l'as publiée ?

Bravo !

Benny a dit…

@ The lovely Blondie :

Merci :)